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Mort de Léon Briens, préfet du Pas-de-Calais

Souffrant d'une grave affection à la gorge, Léon Briens est en congés de ses fonctions de préfet du Pas-de-Calais depuis le 20 février 1918, pour lui permettre de recevoir les soins nécessaires dans un établissement spécialisé à Paris.

Au-delà des formules obligées, le mot publié à l'occasion de son départ par La France du Nord témoigne de la marque qu'il avait su laisser dans son département d'adoption.

Le départ de M. Briens

Nous recevons à ce sujet de M. Georges Adam les réflexions suivantes que nous nous faisons un plaisir d'insérer :

C'est avec un profond sentiment de tristesse et de regret que les nombreux amis de M. Briens, préfet du Pas-de-Calais, ont appris la résolution que l'état précaire de sa santé l'a contraint de prendre.

Et pouvait-il en être autrement à l'idée de cette séparation qui nous prive d'un préfet éminemment serviable, de cet administrateur hors de pair qui a su se concilier tant de sympathies cherchant toujours à aplanir les difficultés quasi-insurmontables qui surgirent au point de vue économique, intervenant sans cesse auprès du gouvernement dans l'intérêt de ce département auquel il s'était donné tout entier, lui consacrant son intelligence, son activité, montrant l’exemple du sang froid et du courage pendant les jours critiques qui amenèrent la destruction de notre glorieuse ville d'Arras qu'il ne quitta, l'un des derniers, les larmes aux yeux, malgré le terrible bombardement, que sur l'ordre du gouvernement.

Plus de trois ans de surmenage, malheureusement, eurent une influence néfaste sur la santé de M. Briens.

Eh oui ! il s'en va notre cher Préfet, mais il nous reviendra, nous en avons le ferme espoir.

Nous l'aimons trop, il nous est trop dévoué pour nous quitter définitivement. Sa volonté est trop indomptable pour qu'il se laisse abattre ; il se relèvera, luttera encore et, revenu parmi nous, il nous dira bientôt : Me voilà ! je suis toujours debout, prêt au labeur que va nous imposer la résurrection de notre chef-lieu, de nos villes du Pas-de-Calais, anéanties par un ennemi féroce ; je suis prêt à aider au soulagement de toutes les infortunes.

J'ai connu, nous dira-t-il, notre beau département à l'époque de sa prospérité ; je l'ai vu pendant les jours de deuil, à l'heure des désastres ; je veux maintenant mettre encore à son service toute mon énergie, lui donner tout mon cœur, activer la réédification de nos belles villes de l’Artois. J'exigerai les réparations dues aux populations si éprouvées par cette guerre cruelle et combattrai les injustices ; je ferai tout pour le relèvement et la gloire de notre cher département.

Et c'est cette pensée de vous revoir bientôt, mon cher Préfet, qui nous réconforte. Nous songerons constamment à vous pendant cette retraite forcée et faisons des vœux ardents pour votre prochain et complet rétablissement.

G. Adam
Conseiller général du Pas-de-Calais,
Maire de Condette

La France du Nord, mercredi 27 février 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/98.

Né le 11 août 1859 à Cérences (Manche), Édouard Léon Briens est le fils de Céleste Nella Voisin et d'Ernest Briens (1835-1907), successivement sous-préfet de Coutances (1877-1881) et préfet de la Corrèze (1881-1883), député (1883-1885 et 1889-1894) et sénateur (1894-1906) de la Manche. Léon Briens débute dans l'administration, après une licence en droit, comme chef de cabinet de son père en Corrèze, de décembre 1881 au 15 avril 1883. Successivement secrétaire général des Basses-Alpes, sous-préfet de Quimperlé, secrétaire général de l'Allier, sous-préfet de Dinan, de Dreux puis de Narbonne, il est nommé à Boulogne-sur-Mer le 25 juin 1896. Le 23 mars 1893, il a épousé Lucie Madeleine Desprès, fille d'Armand, chirurgien en chef des hôpitaux de Paris, professeur à la faculté de médecine (1866) et député du VIe arrondissement (1889-1893).

Nommé préfet de l'Allier le 7 septembre 1903, Léon Briens poursuit sa carrière dans l'Hérault le 8 décembre 1906 puis en Côte-d'Or le 4 février 1908, avant d'être appelé à la préfecture du Pas-de-Calais le 20 octobre 1911.

Carte postale sépia. Au premier plan, Léon Briens, préfet du Pas-de-Calais, se tient devant les ruines du beffroi d'Arras.

Guerre 1914-1915. L'œuvre des Boches. Ce qui reste du magnifique hôtel de ville d'Arras. Le préfet du Pas-de-Calais visitant les ruines. What remains of... [1915], carte postale. Archives départementales du Pas-de-Calais, 38 Fi 1953.

D'un abord naturellement froid, il laisse l'image d’un homme ayant le sourire discret mais accueillant, la poignée de main distinguée mais cordiale . Son caractère affable et sa courtoisie facilitent ses relations avec les autorités militaires et religieuses, ainsi que la mise en œuvre de l'Union sacrée. En poste lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il demeure à Arras pendant la première année du siège et ne s'installe à Boulogne-sur-Mer que sur l'ordre du ministre de l'Intérieur.

Officier de la Légion d'honneur en juillet 1912, il est promu commandeur le 14 octobre 1916, décoration qui lui est remise par le Président de la République en personne, lors de son voyage dans le Nord de la France : Briens n'a cessé depuis le jour où a commencé le bombardement d'Arras de donner à la population l'exemple du calme et du courage. A assuré au chef-lieu du département, avec un dévouement de tous les instants et au mépris du danger, les mesures de protection, de sécurité et d'hygiène qu'imposaient les circonstances .

Léon Briens décède le 29 mai 1918 et ses obsèques ont lieu le samedi 1er juin 1918 à midi en l'église Saint-Ferdinand des Ternes à Paris. Seuls quelques réfugiés y assistent, ainsi que certains hommes politiques du Pas-de-Calais, au premier rang duquel figure Alexandre Ribot, mais aussi Gabriel Aymé, au titre du Lion d'Arras ; en revanche, en raison des circonstances, aucun représentant de la préfecture du Pas-de-Calais n'a pu être présent.

Mort de M. Léon Briens

Préfet du Pas-de-Calais

Portrait dessiné de Léon Briens de trois-quart noir et blanc.

Portrait de Léon Briens, extrait du "Lion d'Arras" du 6 juin 1918, page 2. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.

M. Briens est mort mercredi soir à Paris où il soignait depuis quelques mois une grave affection de la gorge.
Cette nouvelle n'a surpris aucun de ceux qui savaient à quel mal il était atteint, mais elle a peiné profondément tous ceux qui avaient connu le premier magistrat de notre département.

D'un abord naturellement froid dans lequel se lisait la réserve d'un caractère aristocratique, il avait le sourire discret mais accueillant, la poignée de main distinguée mais cordiale qui savaient plaire à tous.
Son aménité, sa haute courtoisie, ses réels efforts en vue de l'union sacrée, facilitèrent les relations de l'autorité civile avec les autorités militaires et religieuses.

M. Briens était un lettré ; ses discours, ses moindres allocutions - il ne les prodiguait pas d’ailleurs - étaient de belles pages de notre langue française, claires, élégantes, harmonieuses, avec un tantet de recherche dans l'expression qui n'était pas pour déplaire.

Mais ce que notre population d'Arras aimait chez lui, c'est son courage civique et l'affection qu'il avait vouée à notre malheureuse ville : "J'y suis attaché, disait-il l'an dernier, au Conseil municipal, par toutes les fibres de mon cœur."
Et l'on sentait que c'était vrai.

Dans une lettre qu'en 1916 il adressait au Lion d'Arras il nous disait combien il aimait revenir parmi nos concitoyens, se promener dans nos rues, serrer les mains autour de lui, respirer cette atmosphère de courage, de calme et de paix sous les bombes qui impressionnent tous ceux qui visitent Arras.

Et de fait il revenait souvent. Un matin, il apparaissait dans la rue ; l'après-midi, il descendait dans les caves de l'hôpital parmi les civils blessés ; il encourageait, il réconfortait et repartait, sans bruit ni discours.

Je suis fier de mes Arrageois nous disait-il au cours d'une de ces visites.
Et nous ne pûmes que lui dire combien les sentiments d'Arras correspondaient aux siens.

Certes, au journal, nous n'avons pas toujours été d'accord avec son administration ; nous l'avons dit parfois ; c'était un devoir de franchise ; nous laissons à l'histoire d'Arras le sujet de ces réserves et nous nous inclinons avec respect devant le cercueil d'un homme qui aima passionnément Arras et qui eut le rare mérite de savoir hausser son courage à la hauteur de son affection.

On sait qu'en Novembre 1916, dans nos Allées d'Arras, le Président de la République remit à M. Briens la cravate de commandant de la Légion d'honneur.
Le même jour, un moment après, il posait la croix sur la poitrine de Mgr. Lobbedey. Deux mois plus tard, Mgr. Lobbedey était mort.
M. Briens vient de mourir aussi.
Dans l'intervalle, Briquet et Tailliandier sont morts.

Et, de plus en plus désespérant - non ! le désespoir n'est jamais permis ! - de plus en plus navrant, le vide se fait autour du lit-de-camp sur lequel agonise Arras.

Gabriel Aymé

La carrière de M. Briens

M. Léon Briens, fils d'Ernest Briens, ancien préfet, ancien député et ancien sénateur de la Manche, était licencié en droit quand, en 1881, il débuta dans la carrière administrative comme chef du cabinet du préfet de la Corrèze. Successivement, secrétaire général des Basses-Alpes, sous-préfet de Quimper, secrétaire général de l'Allier, sous-préfet de Dinan, de Dreux, de Narbonne et de Boulogne-sur-Mer, il avait été nommé en 1903, préfet de l'Allier, de l'Hérault, de la Côte-d'Or, d'où il avait été appelé à la préfecture du Pas-de-Calais en 1911.

On se souvient que M. Briens demeura à Arras pendant la première année du siège et ne s'installa à Boulogne-sur-Mer que sur l'ordre du Ministre de l'Intérieur.

Il y a trois mois, il dut solliciter sa mise en congé pour recevoir les soins que nécessitaient les progrès du mal qui le minait. Pour le combattre de façon plus efficace, une opération fut jugée indispensable. Elle eut lieu à Paris dans un établissement spécial, mais la force de la maladie l'emporta et après de cruelles souffrances, vaillamment supportées, M. Briens rendait mercredi le dernier soupir.

Les funérailles

Les obsèques ont eu lieu samedi à midi, en l'église St-Ferdinand des Ternes, à Paris ; elles revêtirent un caractère de simplicité extraordinaire ; très peu de journaux en ayant annoncé la date et le lieu, à peine quelques réfugiés s'y donnèrent rendez-vous et l'assistance restreinte fut presque uniquement composée d'amis du défunt au premier rang duquel on remarquait M. Ribot.

Signalons seulement quelques personnalités de notre ville : Mme Henri Tailliandier, MM. Minelle, Chabé, Bachelet, M. et Mme Th. Griffiths ; le Lion d'Arras s'était fait représenter par notre ami Gabriel Aymé.

En raison des circonstances, M. le Ministre de l'Intérieur avait enjoint à M. le Préfet Loeuillier et à ses collaborateurs de ne pas quitter leur poste ; c'est ainsi que la Préfecture du Pas-de-Calais ne fut même pas représentée aux funérailles de son Préfet. On regretta particulièrement, l'absence des Ministères de l'Intérieur et des régions envahies.

Pas un discours ne fut prononcé ; c'est à peine si quelques dizaines de personnes se trouvèrent au cimetière, pour rendre les derniers devoirs au Préfet du Pas-de-Calais.

Le deuil était conduit par les fils du défunt, auxquels nous présentons, ainsi qu'à Mme Briens, l'expression de notre sympathie émue.

Le Lion d’Arras, jeudi 6 juin 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 92/2.