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Les rescapés de Monchy-le-Preux

Carte postale noir et blanc montrant des soldats allemands et des enfants devant une habitation dont la toiture s'effondre.

Ein Quartier "Unverwüstlicher Bayern" in Monchy b. Arras [Le quartier des "Bavières éternelles" à Monchy près d'Arras]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 48 Fi 98.

Occupée depuis octobre 1914, la commune de Monchy-le-Preux est l’une des positions maîtresses de la région entre la Scarpe et la Sensée : elle se dresse sur le rebord d’un petit plateau qui domine d’une trentaine de mètres environ le territoire très étendu aux alentours ; elle est plus haute, de près de huit mètres, que le sommet de la colline Orange, située entre elle et Arras. C’est pourquoi, les Allemands ont développé des positions défensives très fortes dans le village et le château (le "verrou de Monchy"), et ont établi des emplacements de mitrailleuses dans les bois de Sart et de Vert.

Le premier jour de la bataille d’Arras (9 avril 1917), les troupes britanniques font 5 600 prisonniers et s’emparent de 35 canons devant Monchy-le-Preux. Le 11 avril, le village est pris par la 37ième division, qui pousse jusqu’à l’extrémité sud de la hauteur. Un monument rendant hommage à ses officiers et à ses soldats tombés durant la Grande Guerre est inauguré en 1921 : il représente trois combattants britanniques adossés et au repos, l’arme à terre, sur un piédestal. Il est l’œuvre de Lady Feodora Gleichen, sœur du commandant de l’unité et première femme admise, de manière posthume, à la Royal Society of British Sculptors.

Le village n’est totalement libéré que le 14 avril, grâce à l’exploit d’une poignée de combattants de Terre-Neuve qui parviennent à contenir une contre-attaque allemande. Près de l’église, sur les ruines d’une fortification allemande, se dresse en leur mémoire le caribou du Mémorial de Terre-Neuve.

Quand les Anglais entrent dans le village en avril 1917, ce n’est plus qu’un amas de ruines, complètement détruit par l’artillerie des deux camps. Ils découvrent toutefois dans les caves des personnes âgées qui n’ont pas voulu quitter leurs maisons, comme le note Le Lion d’Arras du vendredi 20 avril 1917 : Malgré les combats acharnés dont Monchy a été le théâtre, deux femmes, dont une octogénaire, y ont été trouvées ; elles viennent d’être transportées à Arras par l’autorité anglaise

Monchy-le-Preux sera repris par les Allemands lors de leur offensive du printemps 1918, avant d’être délivré le 26 août par les Canadiens.

Les rescapés de Monchy-le-Preux 

Découverts dans deux caves du château de M. Florent, chacun des deux groupes ignorant l’autre, ils ont été ramenés à Arras et, presque aussitôt, évacués sur l’arrière.       

Nous avons pu les voir un moment :

  • d’abord, Mme Vve Fiévet, 79 ans, gérante de la ferme attenante au château ; vive, alerte, la langue bien pendue, elle semblait réveillée d’un long rêve étrange qu’il lui fallait conter dans les moindres détails ;
  • puis sa fille, Célinie, âgée de 50 ans, infirme ;
  • Mme Vve Letierce, née Rémy, 67 ans, infirme aussi ;
  • enfin Martin Duporche, même âge, jardinier chez M. Florent, paralysé par les rhumatismes.

[censure]

De temps en temps il tombait bien quelques obus autour des 210 dissimulés dans le parc ; des incendies se déclaraient, mais rares ; on coulait somme toute une vie assez tranquille et la population n’avait pas eu à déplorer de victime depuis octobre 1914.  

Soudain, pendant la semaine sainte, le bombardement de Monchy devint terrible ; justement le château possédait d’excellentes caves cimentées et aménagées à l’intention des officiers allemands ; les pauvres gens y descendirent ; ils y passèrent huit jours ; le bombardement était tel qu’ils en furent réduits, faute d’eau, à boire un liquide infect fait de neige fondue dans laquelle avait reposé un peu de marc de café laissé par les Boches.

Le matin du 9 avril, la kommandantur ordonna l’évacuation de tous les civils sur Biaches : en tête, le Dr Blaire, faisant fonction de maire ; il restait 120 personnes sur les 650 que comptait normalement le village ; chacun put prendre avec lui 30 kilos de bagages et toute la journée, des automobiles firent la navette entre Monchy et Biaches.

Notre avance fut-elle trop rapide ou les Allemands craignirent-ils de s’encombrer de paralytiques, toujours est-il qu’on ne vint pas chercher nos quatre rescapés ; pourtant, le soir, un officier, habitué de la maison, revint à la cave de Mme Fiévet pour lui dire :
"Demain, Anglais ici !"

Elle bondit, ne pouvant y croire :
"Anglais ? pourquoi Anglais ? où Anglais ?
̶  À 500 mètres, répondit le Boche ; demain matin, ici".

Il était environ 8 heures 1/2 quand, le lendemain matin, la porte de la cave s’ouvrit de nouveau ; de là-haut, les arrivants durent s’étonner de cette pauvre lampe à pétrole au fond du trou noir ; ceux qui, la grenade à la main, cherchaient l’ennemi dans les moindres recoins, se présentèrent simplement :
"Nous Anglais !"

Mme Fiévet escalada les marches ; elle devina plus qu’elle ne vit, dans l’éblouissement du jour, que l’uniforme et le casque avaient changé et sauta au cou des braves Écossais.

Pourtant, le bombardement continuait ; après les obus anglais, les obus allemands ; la vie souterraine se poursuivit donc dans le tumulte assourdi de la mitrailleuse et du canon ; et, détail incroyable, le lendemain 11 avril, quand d’autres Tommys descendirent dans la cave, celles qui s’y trouvaient ne se doutaient pas que la veille, les Allemands étaient rentrés en maîtres dans le village et que, pour la seconde fois, ils en avaient été chassés…

Quelques jours après, la paralytique étendue sur une civière, la vénérable octogénaire pendue au bras de deux officiers anglais qui, le plus doucement du monde, la faisaient sauter d’entonnoir en entonnoir, s’acheminaient vers l’automobile qui devaient les ramener à Arras.

Elles avaient eu le temps de contempler les ruines de leur village : Monchy-le-Preux, quelques jours auparavant presque intact, avait subi en moins d’une semaine le sort navrant de nos pauvres villages broyés depuis trente mois.                                                              

G. A.

Le Lion d’Arras, samedi 5 mai 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 92/02.