Pour pallier l’absence de Salon depuis 1914, le gouvernement regroupe une sélection d’œuvres au Petit Palais, du 1er mai au 30 juin 1918, fusionnant en quelque sorte les expositions de la société des Artistes français et de la société nationale des Beaux-Arts.
Jules Joëts , qui occupe le poste de peintre aux armées depuis de longs mois, y présente un imposant portrait grandeur nature de Douglas Haig à cheval, réalisé dans des conditions difficiles (séances rares avec le maréchal, son ordonnance posant à sa place pour le costume…). Il donne lieu à de nombreuses publications dans la presse, en particulier dans L’Illustration.
Commandant en second des forces britanniques en France sous les ordres du général French, Sir Douglas Haig a pris la tête de la British Expeditionary Force en décembre 1915. En mars suivant, il a transféré son grand quartier général de Saint-Omer à Montreuil-sur-Mer, ville située à proximité du front mais aussi des ports de Boulogne, Calais et Dunkerque, où transitent les troupes britanniques et leurs approvisionnements. Il réside quant à lui au château de Beaurepaire, situé à quelques kilomètres. À sa mort, en 1928, une souscription sera ouverte à Montreuil-sur-Mer pour ériger une statue équestre en son honneur, rappelant son goût pour les promenades à cheval dans la campagne alentour.
Une œuvre nouvelle du maître audomarois
Le portrait du maréchal Douglas Haig par Jules Joëts
Nous sommes heureux de pouvoir enregistrer aujourd’hui un nouveau grand succès par Jules Joëts qu’on peut appeler le maître peintre de Saint-Omer, bien qu’il n’ait que trente-quatre ans.
À ses œuvres saisissantes de réalisme et d’émotion, connues de tous, et qui lui valurent les plus hautes récompenses artistiques, "La soupe des petites sœurs des pauvres", "Le bénédicité", "L’enterrement de sept heures", il a ajouté un tableau d’un tout autre genre : "Le portrait du maréchal Douglas Haig", qui vient d’être reçu au Salon de peinture, à l’unanimité et dans des conditions qui lui font le plus grand honneur.
La toile de Joëts, qui mesure 2 m. 75 sur 3 m. 10, dépassait d’un mètre les mesures imposées à cause de l’étroitesse de la place disponible, par le règlement du Salon, mais le jury, prouvant sa largeur de vues, a passé outre en faveur de la valeur de l’œuvre de l’artiste et du sujet qu’elle représente.
Mobilisé depuis les débuts de la guerre dans différents emplois techniques qu’il remplit avec un dévouement patriotique et actuellement secrétaire auxiliaire de la Mission française, Jules Joëts avait été autorisé, pendant les heures de liberté que lui laissait son service, à peindre le portrait du généralissime des armées britanniques.
C’est à la suite d’une revue des troupes australiennes à laquelle il assistait, que le peintre audomarois avait été présenté, il y a quatre mois, par l’un de ses chefs à sir Douglas Haig et que ce dernier avait accepté de lui accorder quelques séances de pose.
Ces séances qui ne furent ni nombreuses ni longues – les moments du maréchal étant précieux – quatre en tout et de vingt minutes chaque, eurent lieu dans un atelier de fortune mais suffisamment confortable et où ne manquaient ni l’air ni la lumière.
Le "patient" ne posa du reste que pour l’ensemble et les détails de la tête.
Le maréchal Douglas Haig est représenté à cheval, grandeur nature ; le cheval est de profil dans l’attitude du repos, faisant contraste avec le mouvement du maréchal qui est vu de face : une ligne d’horizon assez bas dans la toile, un grand ciel gris complètent le tableau qu’il faut voir pour en admirer l’intensité de vie et de ressemblance.
Après la dernière séance, le maréchal dit à Joëts, en lui tapant familièrement sur l’épaule : "Vous êtes content ? Moi aussi !". Et avec une courtoisie charmante et une simplicité extrême, il invita son peintre à déjeuner avec son état-major, le plaçant auprès de lui, le servant lui-même, bref, lui prodiguant toutes sortes de prévenances et d’attentions délicates.
L’Entente cordiale venait de s’affirmer une fois de plus !
Camille CLAUS
La Croix du Pas-de-Calais, jeudi 11 avril 1918. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/19.