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Un galibot sur le toit du monde ! Georges Carpentier, champion, héros et star internationale (2/2)

Épisode 2 : L'homme aux 1000 vies

Nous sommes en août 1914. Georges Carpentier, déjà champion de boxe de renommée mondiale, ouvre une nouvelle page de son incroyable biographie. Engagé volontaire durant la Grande Guerre, il s'illustre à nouveau par sa bravoure, son sang-froid et son énergie remarquable. Idole populaire, il est bientôt érigé au rang de fierté nationale.

Découvrez, dans ce second épisode de notre podcast, comment L'homme aux mille vies a traversé le siècle. Vous y croiserez peut-être Mistinguett en personne !

Un galibot sur le toit du monde ! Épisode 2 : Georges Carpentier, champion, héros et star internationale

Temps de lecture :

[Narratrice]

Dans l’épisode précédent nous avions laissé le jeune champion Georges Carpentier à Paris. Les chemins de la gloire s’ouvraient devant lui.

Nous sommes en 1914.

[Garde champêtre]

« Ordre de mobilisation générale ! Par décret du président de la République, la mobilisation des armées de Terre et de Mer est ordonnée ainsi que la réquisition des animaux, voitures et harnais nécessaires au complément de ces armées ! Le premier jour de mobilisation est le 2 août 1914 ! Tous Français soumis aux obligations militaires doit, sous peine d’être puni avec toute la rigueur des lois, obéir aux prescriptions du fascicule de mobilisation »

[Narratrice]

Georges Carpentier est mobilisé et sert dans l’armée de l’air comme sergent aviateur.

[Militaire et Georges Carpentier]

État signalétique des services militaires de Georges Carpentier

Numéro matricule du recrutement : 105
Classe de mobilisation : 1914, Béthune
Nom : Carpentier
Prénoms : Georges, Benoît

Signalement : 

  • Cheveux : blonds
  • Yeux : bleus
  • Front : moyen
  • Nez : rectiligne
  • Visage : rond
  • Taille : 1 mètre 80 centimètres

Degré d’instruction : 3

État civil

Né le 12 Janvier 1894 à Liévin canton de Lens-Ouest, département du Pas-de-Calais

Résidence : Paris, département de la Seine

Profession : boxeur

[Journaliste]

Georges Carpentier, le monde entier vous connaît comme boxeur mais vous dites parfois que vous auriez pu embrasser une carrière tout autre.

[Georges Carpentier]

Si je n'étais pas devenu - certains disent : né - boxeur, l'aviation m'eût accaparé dès avant la guerre. Mon admiration pour les exploits des hommes-oiseaux remonte presque à l'enfance. Bien avant de m'être fait une petite réputation, gants aux poings, je suivais les prouesses des aviateurs de loin, faute de pouvoir faire mieux.

[Journaliste]

Vous rêviez donc d’être aviateur ?

[Georges Carpentier]

C'est très exact, j'enviais le sort des athlètes de l'air et si l'on m'avait alors offert de devenir un des leurs, je crois bien que j'eus, fort étourdiment, délaissé le petit ring pugilistique pour ce ring aux dimensions infinies qui s'appelle l'Espace. Heureusement, mon mentor Descamps était là pour me ramener à la réalité. « Ce gosse a la boxe dans le sang » répétait-il à qui voulait, et même à qui ne voulait pas, l'entendre. Et comme, malgré tout, j'adorais déjà la boxe, il advint que je lui restai fidèle.

[Journaliste]

Finalement, sans avoir lâché la boxe, votre rêve de voler a tout de même été exaucé.

[Georges Carpentier]

Et j'aurais d'autant plus tort de me plaindre que, tout en réalisant ce qui fut autrefois mon rêve, j'ai conscience d'avoir, dans la mesure de mes modestes moyens, sinon rendu service à mon pays, du moins accompli mon petit bout de devoir dans la crise formidable qui nous secoue si atrocement depuis bientôt trois années.

Je me suis trouvé tenir, dans le grand drame, l'emploi d'aviateur, au lieu d'être fantassin, artilleur, cavalier ou automobiliste.

[Journaliste]

Vous avez servi dès 1914 ?

[Georges Carpentier]

J'appartiens à la classe 1914 qui, normalement, devait se voir appelée l'année suivante, et ne le fut, effectivement, que plusieurs mois après mon enrôlement. Mon empressement me valût l'honneur de porter l'uniforme dès le 6 août 1914, et j'avais réussi - ô joie! - à me faufiler dans l'aviation !

[Journaliste]

Dès votre arrivée, vous êtes incorporé comme pilote ?!

[Georges Carpentier]

À parler franc, ce n'était pas encore comme oiseau, mais seulement à titre d’automobiliste, affecté au service d’un officier attaché au centre de Saint-Cyr. Aussi pouvez-vous croire que j'enrageais, dans mon emploi de tout repos. Piloter un aéroplane au-dessus de la ligne de feu, non une automobile sur la route de Paris à Versailles, tel était mon ardent désir. J’ai obtenu le bienheureux brevet en mai 1915. Le roi n'était pas mon cousin, pour employer la locution populaire, et je crois bien qu'aucune victoire ne m’a rempli de pareille fierté.

[Journaliste]

Pouvez-vous partager avec nos auditeurs vos principaux états de service ?

[Georges Carpentier]

Mes principaux états de service, dites-vous. Volontiers. Donc, le 21 mai 1915, j’arrivais au Bourget dûment qualifié comme pilote.

Un mois plus tard, je rejoignais sur le front une escadrille de bombardement, et, des mutations successives me firent pratiquer les reconnaissances, la photographie, l’observation, le réglage, et enfin la liaison d’infanterie. C'est en exécutant cette mission de beaucoup la plus dure et la plus périlleuse de toutes celles qui m’ont été confiées, que j'obtins la citation qui me valut la Médaille militaire, à l'occasion de la reprise du fort de Douaumont, le 25 septembre 1916. Onze mois plus tôt, le 25 septembre 1915, une première citation, consécutive à l'offensive de Champagne, m'avait conféré la Croix de guerre avec palme.

[Journaliste]

En quoi consiste la liaison d’infanterie en avion ?

[Georges Carpentier]

C’est une des tâches les plus pénibles parmi celles qu’on demande aux aviateurs. Cette liaison consiste à fournir à l’état-major les renseignements les plus minutieux sur la situation de nos troupes. L'aviateur qui en est chargé doit par conséquent voler à très faible hauteur, de façon à se tenir en contact permanent avec l'infanterie. Le pilote doit descendre très bas, parfois à 100 mètres, parfois à moins. Et vous pensez si l'ennemi en profite pour le marmiter, le bombarder, voire le fusiller, à son aise.

[Journaliste]

Vous avez donc essuyé des tirs ennemis ? Vous n’avez jamais été blessé ?

[Georges Carpentier]

J’ai eu la chance de sortir indemne de toutes mes expéditions, mais il m'est souvent arrivé de rentrer avec un appareil criblé d'éclats d'obus, sinon de balles. Durant la bataille de Verdun, mon observateur constata un jour en atterrissant que son casque avait été traversé de part en part. Enfin, ce sont les risques du métier, et j'aurais, vous le voyez, mauvaise grâce à me plaindre. Tant de braves sont tombés que nous ne reverrons jamais plus.

[Journaliste]

Bien sûr nous voudrions tous savoir où va votre préférence. S'il s'agissait uniquement de passe-temps, que pratiqueriez-vous avec le plus de plaisir : la boxe ou l'aviation ?

[Georges Carpentier]

Eh bien ! expérience faite, mes préférences iraient au ring, si étriqué puisse-t-il sembler auprès de celui où j'évolue depuis deux ans. La boxe est d'essence infiniment plus sportive, autrement dit plus athlétique, que l'aviation. En dépit de ce que peut penser un vain peuple de profanes, il est plus facile d'apprendre à diriger un aéroplane que d'ajuster un cross du droit d'après les règles du noble art.

Voilà sans doute pourquoi, la guerre finie, je redeviendrai, si la Providence le permet, un simple boxeur. Et j'ajoute que cela ne m'enlèvera rien de l'indicible satisfaction que j'éprouverai toujours à avoir servi mon pays comme aviateur.

[Narratrices]

Georges Carpentier reçoit, en 1916, la médaille militaire des mains du président de la République alors qu’il est déjà titulaire de la Croix de guerre.

Son avion, suite à une panne de moteur s'écrase dans une forêt en avril 1918. Grièvement blessé, il est affecté comme moniteur à l’École de Joinville jusqu’à la fin de la guerre.

La guerre terminée, Georges Carpentier remet les gants. Les combats s’enchaînent à nouveau. Le 14 décembre 1919, à Londres, sur la terre qui a vu naître la boxe anglaise, il bat en un round, l’anglais Joe Beckett, lui enlevant ainsi son titre de champion d’Europe des poids lourds, en présence du prince de Galles.

Il combat dans pratiquement toutes les catégories et devient le premier français champion du monde de boxe anglaise à Jersey City aux États-Unis. À la stupeur générale, il met KO le « mi-lourd » Battling Levinsky le 12 octobre 1920.

[Journaliste]

Georges Carpentier est champion d’Europe des poids mi-lourds. En triomphant de Levinsky en moins de 4 rounds – puisque la dernière reprise a duré 1 minute et 7 secondes seulement – a justifié vis-à-vis de l’Amérique ses prétentions au titre mondial toutes catégories. Rapidité, agilité, science et puissance, rien ne manque au Français !

[Narratrice]

Il est défait par KO après une droite dévastatrice de l’américain Jack Dempsey le 21 juillet 1921 lors d’un match que la presse internationale qualifie de « combat du siècle ». Il faut dire que Dempsey est plus grand et plus lourd que Carpentier et que celui-ci endure d’une double fracture du pouce droit depuis le 2e round. Jack Dempsey et Georges Carpentier perçoivent respectivement 300 000 et 200 000 dollars.

Dans un stade spécialement construit pour l'occasion, l'événement a réuni 600 journalistes du monde entier et plus de 80 000 spectateurs - au premier rang desquels Charlie Chaplin, Henry Ford ou encore John Rockefeller.

[Georges Carpentier]

Si j’ai approché les rois et les grands de ce monde, c’est parce que je n’avais pas le physique d’un homme qui donnait des coups de poing et encore moins de celui qui en recevait, alors que tout le monde savait que mes victoires étaient nettes et rapides. C’est cette opposition, cette contradiction pourrais-je dire, entre mon visage angélique et mes poings diaboliques, qui a attiré et retenu l’attention sur moi.

[Narratrice]

Idole populaire, érigé au rang de fierté nationale, sa célébrité dépasse très largement les frontières de la boxe. Il fréquente les milieux mondains, est l’ami de Mistinguett, Douglas Fairbanks et même Winston Churchill. L'Amérique qui le surnomme "The Orchid Man" ("L'homme à l'orchidée"), en raison de la fleur qu'il porte à la boutonnière est sous le charme du dandy boxeur aux yeux bleus.

Voici comment Georges Carpentier se décrit dans son autobiographie intitulée Mon match avec la vie parue en 1954:

[Georges Carpentier]

 « Je suis maintenant un jeune homme très lancé. Comme “tout le monde”, je suis au Bois, vers midi, à peu près chaque jour. Je laisse ma Bellenger à la porte Dauphine et m’en vais faire mon persil avenue des Acacias ou avenue du Bois. Melon noir, gants beurre frais, gilet de fantaisie, chaussures vernies à tiges de drap clair, ce gandin-là, c’est moi ! Et pas question d’oublier ma canne à pommeau d’ivoire ».

[Narratrice]

Aussi, rien d’étonnant à ce que sa vie privée soit exposée dans la presse nationale. Le 8 mars 1920, son mariage avec Georgette Elsasser fait les gros titres. De nombreuses personnalités sont présentes. Son témoin n’est autre que Tristan Bernard.

[Journaliste]

Georges Carpentier s'est marié hier !

Dans la mairie du arrondissement, rue d'Anjou, qui vit jadis maintes unions célèbres, M. Sansbœuf, premier adjoint, a célébré hier le mariage de Georges Carpentier et de Mlle Georgette-Laurentia Elsasser. Les amis de notre grand champion étaient venus nombreux et la grande salle était trop petite pour les contenir. La fiancée était délicieuse dans sa robe de tulle blanc brodé de dentelles en point d'Alençon. A droite et à gauche, M. et Mme Carpentier, M. Elsasser et le fidèle Descamps, qui couvait des yeux son cher « poulain ». M. Sansbœuf donne d'abord lecture du code. Au passage : « Le mari doit aide et protection à sa femme », Carpentier ne peut réprimer un sourire... Mme Carpentier sera certes bien protégée. Quand M. Sansbœuf a terminé en présentant ses vœux de bonheur aux nouveaux époux, la sortie se fait aux cris de : « Vive Georges », cependant que le couple gracieux se prête de bonne grâce aux exigences de l'armée des photographes. Au moment où Carpentier va disparaître en auto, nous lui demandons : — Que peut-on dire sur vous, aujourd'hui ? —

[Georges Carpentier]

Simplement que je suis très heureux

[Journaliste]

nous répond-il en riant franchement.

[Narratrices]

Il se retire de la compétition sur une victoire obtenue le 15 septembre 1926 au troisième round contre Rocco Stramaglia. Il a à son palmarès 109 combats, dont 88 victoires, 5 nuls, 15 défaites et 1 non-décision.

Georges Carpentier n’alors que 32 ans. Il s’essaie aux claquettes et pousse même la chansonnette dans un spectacle de music-hall en 1927 puis il part en tournée aux États-Unis. Là, il côtoie les stars d’Hollywood avant d’être pratiquement ruiné par le krach de Wall Street de 1929. Pour gagner un peu d’argent, il accepte un rôle de boxeur dans un film de la Warner. Rôle pour lequel il se fait refaire le nez, abimé par les combats.

En 1935, de retour à Paris, il ouvre un bar à cocktails "Chez Georges Carpentier". Il y reçoit champions sportifs, riches industriels, personnalités mondaines et artistes comme Mistinguett ou son ami Maurice Chevalier.

[Mistinguett]

Bonjour mon Georges !

[Georges Carpentier]

Hello la Miss !

Alors comment tu le trouves mon bar ?

[Mistinguett]

Mais c’est charmant ici et ce monde ah ça remue ! j’dois bien dire que c’est beau! C’est épatant !

Allez vient donc m’embrasser !

Ah il est pas mal celui-là ! Il est grassouillet ! Sers-moi donc un de tes cocktails, on dit que c’est les meilleurs de Paris !

[Georges Carpentier]

Le meilleur des cocktails pour la plus belle femme de Paris ! Il faudra que tu viennes chanter ici un de ces jours.

[Mistinguett]

C’que tu parles bien quand même ! on n’peut rien te r’fuser à toi ! Je f’rais tout ce que je peux pour amuser le public et pour faire oublier un petit peu tout ce que nous passons en ce moment. Voilà tu es content !

[Narratrice] 

Mais la guerre vient à nouveau bouleverser la vie mondaine du Grand Georges.

Georges Carpentier est affecté à la base aérienne de Duguy le 15 mai 1939 puis détaché au Bataillon de l’air 117 à compter du 29 septembre 1939 comme moniteur-chef d’éducation physique. Il est démobilisé le 25 juin 1940.

Il est fait officier de la Légion d’honneur le 30 mars 1972.

Il meurt à Paris, le 28 octobre 1975. Ses obsèques célébrées à l'église de la Madeleine le 29 octobre rassemblent une foule immense.

Télécharger la bande son (mpeg, 36.36 Mo)

Crédits

Cet épisode a été écrit, interprété et réalisé par les archives départementales du Pas-de-Calais.

Nous remercions Un beau joueur et Loïck pour le générique original, Laurent Cauvin (voix de Georges Carpentier) ainsi que les agents des archives du Pas-de-Calais (voix, montage et réalisation).

Sources