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Anniversaire de l’assassinat du maire de Wancourt

Henri Boisleux, maire de la commune de Wancourt, était resté à son poste au moment de l'invasion allemande. L’annonce de sa mort le 1er octobre 1914, attribuée à une balle égarée, avait aussitôt soulevé l’indignation dans la région.

Né dans la commune le 25 février 1856, Henri Boisleux, fermier de profession, exerçait sa fonction d’élu par tradition familiale depuis plus de trente ans, ayant succédé à plusieurs générations de maires et conseillers généraux.

Dans son numéro du 15 octobre 1916, Le Lion d’Arras publie toutefois une brève tirée du journal Le Matin affirmant que la mort de Boisleux n’était pas du tout accidentelle, mais qu’il avait été victime de représailles et avait été assassiné par des soudards allemands ; les circonstances en étaient cependant relayées dans des versions plus ou moins divergentes.

Relevons une version fiable parue dans le n° 200 du Bulletin des Réfugiés du Pas-de-Calais du 19 avril 1917 grâce à la publication de passages d’une lettre écrite par le fabricant de sucre M. Pirckher, qui enterra provisoirement Henri Boisleux dans le jardin de sa fille et lui succéda au poste de maire de Wancourt :

L’assassinat du maire de Wancourt 

Nous lisons dans la Dépêche :

Les journaux ont publié jadis différentes versions sur la mort de M. Boisleux, maire de Wancourt.

Nous sommes en mesure de présenter aujourd’hui à nos lecteurs le récit de ce dramatique événement, raconté par M. Pirckher, fabricant de sucre du Pas-de-Calais, qui a administré la commune de Wancourt après la mort de M. Boisleux et vient d’être rapatrié.

Voici plusieurs passages de la lettre intéressante que M. Pirckher a adressé[e] à un de ses amis, le 6 avril courant :

"N’ayant avec lui que deux pauvres bonnes malades apeurées, menacé par l’incendie qui dévorait ses deux grandes granges, puis abandonné par ces deux mêmes bonnes, se trouvant seul, M. Boisleux a essayé de se mettre en sûreté en se sauvant et en se réfugiant dans sa cave. Le fait est qu’il fut tué à la porte de sa cave par un coup de fusil tiré par une sentinelle postée sur le palier en haut des marches de sa cour.

"J’ai vu la trace de la balle sur la porte, j’ai vu son sang figé sur la même porte.

"Son corps a été précipité sur les marches de l’escalier de sa cave où il fut retiré 24 heures après, par deux civils de Wancourt et enterré, non loin de là, dans le jardinet de sa fille Marie, à quelques centimètres de profondeur.

"C’est là que je l’ai exhumé 14 mois plus tard, après bien des démarches, le 3 novembre 1915, à 4 heures et demie du matin, sous la surveillance des soldats et d’un sous-officier, avec ordre de le transférer directement dans son caveau…

"J’étais seul pour prendre toutes les charges et les responsabilités.

"J’ai été fossoyeur (300 cadavres ont été ensevelis sous ma surveillance) ; infirmier (toutes nos maisons ont été pendant 15 jours pleines de blessés, il y en avait 1 500 à Wancourt) ; maire, ravitailleur, chargé du pays et distributeur de viande. En somme, il me fallait des occupations pour penser le moins possible…

"Nous avons quitté Wancourt le 20 décembre, à 6 heures du matin…"

Bulletin des Réfugiés du Pas-de-Calais, 19 avril 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 121/01.

Tout comme celle plus éclairée publiée dans les colonnes du journal La Campagne d'Artois le 19 septembre 1920 à l’occasion de l’annonce d’une cérémonie commémorative organisée le 10 octobre suivant à la mémoire du défunt :

Cérémonie en mémoire d’Henri Boisleux, ancien maire

[…] On se souvient que M. Boisleux, fidèle à son poste, était resté à Wancourt lorsqu'arrivèrent les troupes ennemies ; il était sept heures du soir, et nos dragons avaient quitté le village à six heures et demie ; une horde d'Allemands ivres envahit le village et perquisitionne dans les maisons en allumant partout des incendies dans les granges.
Les servantes de M. Boisleux, voyant l'incendie de toute la ferme se propager, sortent les premières, laissant leur maître seul un instant ; à ce moment M. Boisleux est tué d'une balle de revolver dans la tête, à bout portant ; les assassins jettent son corps dans l'escalier de la cave et interdisent d'en approcher.

Il ne put être enlevé que la nuit suivante par deux vieillards (dont l'un fut brûlé vif deux jours après) qui l'enterrèrent sommairement dans une cour de sa maison. Ce n'est que quatorze mois après que M. Pierckher a pu l'enterrer décemment, mais avec des ordres sévère[s] des autorités allemandes, pour que cet enlèvement ne fût connu ni de la population ni des troupes, sans passer par l'église, de grand matin, et sous la surveillance des gendarmes boches. - Sinistre épisode, un parmi des milliers, de cette période de l'occupation allemande..., lecture à recommander aux apôtres de la fraternité universelle. 

La campagne d’Artois, 19 septembre 1920. Archives départementales du Pas-de-Calais, PF 118/1.

Cette émouvante cérémonie rassemble des personnalités locales venues rendre un dernier hommage à leur pair : Henri Bachelet, conseiller général du canton de Croisilles, Auguste Duquesne, ancien maire de Chérisy et vice-président de la chambre de commerce d’Arras, Georges Boisieux, maire de Mory et conseiller d’arrondissement, Hector Candelier, maire de Bucquoy et Paul Pirckher, maire intérimaire de Wancourt et ami du défunt, sous le patronage de Mgr Julien, évêque d’Arras.

Henri Boisleux est fait chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume par décret du 9 avril 1921 sur rapport du ministre de l'Intérieur.

La cérémonie de Wancourt

La cérémonie de Wancourt a revêtu un caractère particulièrement émouvant. Chacun des assistants avait en effet présent à la mémoire le rude calvaire de M. Henri Boisleux, de cet homme de bien qu’entourait la sympathie de tous et dont la mort tragique a soulevé, surtout dans nos régions, une indignation difficile à décrire.

C’est M. Boisleux fils, maire de Wancourt, qui reçoit les autorités et les conduit au cimetière où une estrade a été dressée face au caveau de la famille. A 2 heures et demie la cérémonie commence : l’office des morts est récité par le clergé au pied d’un autel dressé contre la croix du calvaire. M. l’abbé Duriez, curé de la paroisse, retrace la vie magnifiquement remplie de M. Boisleux ; il fait un tableau poignant de l’enterrement du 2 novembre 1915, à 5 heures du matin ; quatre hommes portant une civière ; sur cette civière un cercueil de bois blanc obtenu à grand’ peine ; point de drap mortuaire, point de flambeau, point de glas funèbre, pas même de prêtre pour réciter les suprêmes prières ; M. Boisleux fut conduit à se dernière demeure comme le plus pauvre d’entre les pauvres. Mgr Julien, avant de donner l’absoute, déclare que ce n’est pas en vain que le sang des victimes a coulé, car la victoire est venue, et les martyrs civils qui sont tombés sans témoins et sans gloire ont certainement compté dans la balance de la Providence.

M. Bachelet, sénateur, conseiller général ; M. Duquesne, ancien maire de Chérisy ; M. Gerbore, président du conseil de préfecture, rendent un éclatant hommage à la mémoire de l’ancien maire de Wancourt. La loyauté de M. Boisleux a su lui attirer l’estime même de ses anciens adversaires politiques avec qui, du reste, il entretint toujours d’excellents rapports.

On devine l’émotion profonde de M. Boisleux fils en remerciant les promoteurs de cette manifestation toute de sympathie. L’émotion du fils était vraiment partagée par tous et c’est justice : un pareil souvenir est de ceux qui ne doivent jamais nous trouver insensible et que nous devons garder pieusement.

Le Beffroi d’Arras, 14 novembre 1920. Extrait publié sur la page dédiée à Wancourt du site Mémoire de pierres.