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Boulogne : l’entente cordiale avant l’heure
En 1873, Sir William Hamilton, consul britannique à Boulogne-sur-Mer, reçoit les hommages des édiles de la ville, après un demi-siècle de bons et loyaux services. À cette occasion, une œuvre d’art lui est offerte.
Les relations franco-anglaises au XIXe siècle
C’est un fait, les relations entre la France et l’Angleterre ont toujours été difficiles. Toujours ? Tout au moins depuis les tensions nées de la conquête de l’île, en 1066, par le duc normand Guillaume le Conquérant, vassal du roi de France. Les guerres de Cent Ans (1337-1453), de Sept Ans (1754-1763), d’indépendance américaine (1774-1783) ou napoléoniennes (1804-1815), permettent à la Grande-Bretagne d’obtenir une solide réputation d’ennemie héréditaire de la France.
Toutefois, les rapports de cette dernière avec la "perfide Albion" évoluent au cours du XIXe siècle, pour aboutir à un réel rapprochement, concrétisé par l’Entente cordiale, à l’aube du XXe siècle. Ce mouvement débute, en fait, sous la Monarchie de Juillet, grâce à l’anglophilie de Louis-Philippe et au pragmatisme de la reine Victoria. Les deux souverains se rendent visite trois années de suite, en 1843, 1844 et 1845.
Cette entente est cependant encore fragile et se disloque dès 1846, notamment à cause de petits incidents arrivés à Tahiti entre marins français et missionnaires anglais. Elle se réchauffe au début du Second Empire : Napoléon III éprouve une réelle admiration pour les institutions du Royaume-Uni, où il a trouvé refuge à plusieurs reprises. Il compte ainsi sur l’appui anglais pour vaincre la Russie, notamment lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Il reçoit à Boulogne-sur-Mer le prince consort Albert en 1854, puis la reine Victoria l’année suivante.
Cependant, les relations se distendent à nouveau après l’attentat d’Orsini du 14 janvier 1858, car le complice de ce dernier, Bernard, réfugié en Angleterre, est acquitté par le jury. Les deux États signent un traité de libre-échange, le 23 janvier 1860, mais c’est un relatif échec ; en outre, le percement du canal de Suez par Ferdinand de Lesseps, entre 1859 et 1869, gêne les Anglais dans leurs projets au Proche-Orient. La IIIe République connaît à son tour cette alternance de chaud et de froid entre les deux nations. Face à la montée de l’hégémonie de l’Allemagne et de son alliée, l’Autriche-Hongrie, la France et le Royaume-Uni ne montrent pas de volonté commune, les intérêts coloniaux passant en priorité.
Malgré un contexte international fluctuant, la Côte d’Opale reste, au XIXe siècle, une région attractive pour les Anglais. La part des touristes britanniques à cette époque a pu donner l’impression que Boulogne était devenue une ville anglaise. En 1851, on évalue à 2 696 le nombre de ressortissants d’outre-Manche habitant à Boulogne et Saint-Martin-Boulogne, et ce chiffre est en constante augmentation. Pour faciliter leurs démarches administratives, Calais et Boulogne sont alors dotées d’un consulat. Chargé de défendre les intérêts de la communauté, le consul a pour mission de délivrer les licences de mariage et les passeports, de représenter la poste royale, etc.
Le consulat de Sir William Hamilton
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Diplôme de membre sociétaire fondateur de la Société des amis des arts de Boulogne-sur-Mer, 1er août 1843. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2485.
Diplôme de membre sociétaire fondateur de la Société des amis des arts de Boulogne-sur-Mer, 1er août 1843. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2485.
William Hamilton naît en 1788. En 1803, à l’âge de quinze ans, il entre dans la Royal Navy, mais se fait capturer par les Français. Il est alors détenu en France, de 1805 à 1814. Une fois revenu dans sa patrie, il entame une carrière diplomatique en tant que vice-consul. Il débute aux États-Unis, à Flushing et Middlebury, d’août 1817 à janvier 1818, puis occupe successivement trois postes en Belgique :
à Anvers, de janvier à novembre 1818 ;
à Ostende, de novembre 1818 à juin 1820 ;
puis à Nieuport, de juin 1820 à avril 1822.
Il arrive à Boulogne-sur-Mer en avril 1822, et en devient le consul à partir de juin 1826. Dans ce grand port français, il doit "concilier des intérêts souvent opposés". Toutefois, il semble s’être attaché à cette ville côtière proche de son pays natal, et il prend une part active à la vie locale.
Amateur d’art, il est membre sociétaire fondateur de la société des amis des arts de Boulogne-sur-Mer. Il fait également partie des quelques Anglais qui ont aidé le tout jeune musée de Boulogne-sur-Mer, ouvert au public le 4 novembre 1825 : il lui donne de nombreuses œuvres, dont une proportion importante d’objets océaniques de belle qualité, certainement acquis chez des amateurs, en vente publique ou en galerie. Notons que son fils Peter William Hamilton (1812-1863), capitaine à la Royal Navy, épouse la même carrière que son père en devenant consul de Charente. Après une "carrière semi-séculaire", à Boulogne, notre homme demande à prendre à sa retraite en 1869, mais ne l’obtient qu’en 1873. Cette même année, il est nommé chevalier. Il décède en 1877.
Les archives de Sir William Hamilton
Les papiers de Sir William Hamilton ne représentent qu’un petit fonds de 65 pièces, acquis à Londres, pour les archives départementales du Pas-de-Calais, le 17 décembre 2015. Cet ensemble, très varié, est composé de pièces relatives à la carrière du consul britannique, de quelques documents de travail, d’invitations et de papiers personnels, couvrant une période s’étendant de 1801 à 1877. Il est aujourd’hui conservé sous la cote 1 J 2485.
Le document mis à l’honneur aujourd'hui est issu d’un dossier de douze pièces concernant l’objet d’art offert à Sir William Hamilton, en témoignage de l’estime et de l’affection des habitants et du commerce de la ville de Boulogne-sur-Mer. Ce dossier est, entre autres, composé d’un appel à souscriptions, d’une liste des souscripteurs… et même du brouillon sur lequel Hamilton a dû griffonner ses remerciements pour la cérémonie de remise.
Le document présenté est une lettre dithyrambique, certainement remise en même temps que le cadeau le 24 septembre 1873, et montre l’attachement sincère des Boulonnais pour le consul. Elle est signée par Auguste Huguet (1822-1919), maire de Boulogne-sur-Mer de 1871 à 1879, et Bertulphe Gosselin (1827-1884), président de la chambre de commerce de la ville depuis novembre 1869.
Le procès-verbal, accompagnant la lettre d’hommage, donne des informations importantes sur l’objet d’art remis en grande pompe au lord anglais. Grâce à lui, nous savons que la cérémonie a eu lieu le mercredi 24 septembre 1873, à trois heures de l’après-midi, au 113, Grande Rue à Boulogne-sur-Mer.
L’objet est une reproduction en bronze, à l’échelle un demi, des Trois Grâces de Germain Pilon (1528-1590), sculpteur et médailleur parisien, le plus important (avec Jean Goujon) de la Renaissance française. "Emblème de goût et de beauté", les Trois Grâces, déesses du charme, de la beauté et de la créativité, ont souvent été représentées dans l’art. L’œuvre de Pilon les montre adossées, les mains jointes dans une ronde lente et silencieuse. Elles soutiennent une urne qui contenait le cœur du roi Henri II. L’original en marbre, commandé en 1561 par Catherine de Médicis, est conservé au musée du Louvre.
L’œuvre offerte au consul anglais est posée sur un socle triangulaire, lui aussi en bronze, portant sur chaque face un cartouche où sont gravées les inscriptions suivantes :
Sur le premier côté : "À Sir William Hamilton, consul de S. M. britannique, à Boulogne-sur-Mer – 1822-1873 – souvenir offert par la ville de Boulogne-sur-Mer et la Chambre de commerce" ;
Sur le deuxième côté : "Délibération du conseil municipal du 13 février 1873. M. Auguste Huguet étant maire de Boulogne-sur-Mer – Délibération de la chambre de commerce du 7 février 1873. M. B. Gosselin étant président" ;
Et, sur le troisième côté, a été apposée une plaque de bronze aux armes de la ville de Boulogne-sur-Mer.
J. BABELON, Germain Pilon, Paris, Les Beaux-Arts, 1927, pp. 16-19 et 58-59
J.-É. IUNG, P. WINTREBERT, O. MUTH, J.-C. HOMBERT, C. COURBOT, C. LONGIN, Une petite Angleterre ? Les Britanniques sur la Côte d’Opale (1814-1904), Arras, Archives départementales du Pas-de-Calais, 2004.
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