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Qui veut la tête de Saint-Preuil ?

Un curieux document récemment acquis par les archives départementales du Pas-de-Calais permet de mettre en lumière un événement fort peu connu de l’histoire locale. En 1641, soit seulement un an après la prise d’Arras par les Français, le sieur de Saint-Preuil, le gouverneur de la ville d’Arras, est exécuté après un rapide procès et pour des raisons qui peuvent paraître obscures.

Une gravure à l’honneur

Gravure monochrome montrant une tête de mort.

Gravure de la tête de François de Jussac d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil (1880), Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 Fi 886.

De prime abord, ce document est remarquable par sa taille, relativement grande pour une gravure, 26 cm de hauteur sur 37 cm de longueur. Il représente une tête en partie décharnée et a été tracé à la pointe sèche. Cette technique, dans laquelle le graveur utilise une pointe sèche plutôt qu’un burin, permet d’exécuter un trait fin, presque velouté. La gravure est datée, signée et localisée : "Camarroque, 1880, musée de Picardie". L’auteur, Charles Camarroque est un artiste peintre bordelais. Élève d’Alexandre Cabanel, il s’installe à Paris, où, de 1875 à 1880, il participe aux salons de l'Académie des beaux-arts, puis au Salon des artistes français.

En dessous, se trouve collé le portrait, de son vivant, de l’homme à qui appartient la tête : ce dernier y porte une armure surmontée d’un large col rabattu de dentelle, typique des dernières années du règne de Louis XIII. Celui-ci est encadré de la légende : Le 9 novembre 1641 fut décapité à Amiens à l’âge de 42 ans messire de St-Preuil gouverneur d’Artois .

Revenons un instant sur la gravure. La tête décapitée semble étonnement bien conservée, malgré les siècles qu’elle a traversés. Une photographie, fournie par le Musée de Picardie, confirme encore son bon état relatif. La peau paraît en partie conservée. Et on remarque, surtout, une découpe tout autour de la boîte crânienne et un fil au sommet tenant la calotte.

De toute évidence, la tête a été préservée de la destruction et de la putréfaction grâce à une pratique particulière d’embaumement. Une pratique qui remonte au Moyen Âge, réalisée par un chirurgien ou un apothicaire. Le crâne est soigneusement scié afin d’y ôter le cerveau et de le remplacer par un mélange de poudres, de baumes, d’herbes aromatiques ou d’autres produits desséchants, odorants et antiputrides. Au XVIIe siècle, l’embaumement est réservé à une élite. Il peut également y être perçu comme un hommage. Il disparaît dans les années 1840, avec la création de l’embaumement chimique.

Qui est Saint-Preuil ?

François de Jussac d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil, est né en 1599. Il commence sa carrière militaire dès l’âge de quatorze ans. On le voit tout d’abord commander dans la ville du Havre sous la houlette du duc de Richelieu, neveu du cardinal. Puis capitaine aux gardes, il participe, en 1632, au combat de Castelnaudary, faisant prisonnier le duc Henri II de Montmorency. Ce fait d’armes lui permet alors de gagner les faveurs de Richelieu.

Dessin monochrome sur lequel on voit le buste d'un homme vêtu à la mode de Louis XIII.

Détail d'une gravure de la tête de François de Jussac d’Ambleville, sieur de Saint-Preuil (1880), Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 Fi 886.

Nommé maréchal de camp, il sert dans la guerre que Louis XIII déclare aux Espagnols à partir de 1635. Son ardeur au combat lui vaut le surnom de "teste de fer". En 1636, il est chargé de défendre la place de Corbie, où il se distingue par son courage et son intelligence dans cette délicate mission. Gouverneur d’Ardres, il est appelé, en 1638, au commandement de Doullens, au moment où le roi décide d’assiéger la ville d’Arras. Cette place, proche de la frontière de l’Artois, joue un rôle important, puisqu’elle sert de point d’appui principal de l’armée française, lors de la conquête. Le siège de la capitale artésienne se dénoue par une victoire française, le 9 août 1640, après deux mois d’âpres combats.

Photographie noir et blanc montrant une tête de mort.

Photographie de la tête de François de Jussac d’Ambleville (s. d.).

Immédiatement après, le roi nomme Saint-Preuil gouverneur d’Arras, pour le récompenser de son dévouement pendant le siège. Bon guerrier, notre homme ne paraît, cependant, pas avoir eu toutes les qualités nécessaires pour gouverner une cité dont les habitants sont encore vivement attachés à la maison d’Espagne. Menant grand train, il recourt à des exactions et à des mesures arbitraires afin d’éponger ses dettes. Sa vie dissolue et son caractère violent et hautain lui suscitent de puissants adversaires, tels le maréchal de La Meilleraye, le vainqueur d’Hesdin et d’Arras, ou François Sublet de Noyers, le secrétaire d’État de la Guerre.

Le 24 septembre 1641, il finit par être arrêté par le duc de La Meilleraye lui-même. Amené à la citadelle d’Amiens, il comparaît devant ses juges le 3 novembre. Après un rapide procès, la terrible sentence tombe. Le bourreau lui tranche la tête, sur la place de l’hôtel de ville d’Amiens, le 9 novembre 1641.

Les raisons de la disgrâce

Le crâne de Saint-Preuil a été exposé, parmi d’autres curiosités, à l’occasion de l’exposition Mille ans, mille têtes en Picardie qui s’est tenue en 1987 dans la capitale picarde. La plaquette, publiée à cette occasion, mentionne Saint-Preuil avec ce bref commentaire : injustement victime de la jalousie amoureuse d’un plus puissant que lui, il est condamné à mort . Cette explication, bien que romantique, est toutefois un peu courte. Le procès – manifestement inique – s’est appuyé sur des faits. Ainsi, cinq affaires ont pu mener le gouverneur d’Arras à sa perte :

  • L’hostilité du maréchal de Meilleraye, en raison, semble-t-il, de désaccords sur le plan militaire et à une rivalité sentimentale.
  • Des voies de fait commis par le gouverneur et ses soldats à l’encontre des religieuses du couvent de la Thieuloye, lors de perquisitions. Des armes y avait été cachées, ainsi que dans l’abbaye Saint-Vaast.
  • Une accusation d’espionnage contre Fleury Guillain, un meunier d’Arras, dans le but de lui ravir sa femme.
  • L’hostilité du secrétaire d’État de la Guerre après avoir vertement critiqué un certain d’Aubray, commissaire aux vivres à Arras et surtout neveu de l’homme d’État.
  • Enfin, la dernière affaire, sans doute la plus grave, est celle de la garnison espagnole de Bapaume. Le 18 septembre 1641, le maréchal de Meilleraye prend Bapaume. Il permet aux Espagnols de se retirer sur Douai et, pour leur sécurité, leur donne une escorte et un trompette. Surprise par la nuit, la garnison décide de bivouaquer près du village de Dury, à mi-chemin entre les deux villes. Saint-Preuil attaque et pille cependant la troupe. Vite conscient de sa méprise, il présente ses regrets et tente de dédommager l’ennemi, mais le mal a été fait.

Les restes de Saint-Preuil sont finalement retrouvés en 1804, lors de l’aménagement d’un terrain où se trouvait l’église des Feuillants, démolie quelques années plus tôt. La tête, placée entre les cuisses du cadavre, est alors soigneusement recueillie et déposée au cabinet d’histoire naturelle, récemment créé à Amiens. Elle rentrera dans les collections du Musée de Picardie, créé sous l’impulsion des Antiquaires de Picardie, durant la seconde moitié du XIXe siècle.

Ainsi, l’histoire de cette tête, toujours conservée dans les réserves du musée, a pu être remis à jour grâce à une simple estampe…

Pour aller plus loin

  • E. LECESNE, "Un procès criminel au XVIIe siècle", Mémoires de l’académie d’Arras, tome 27, août 1854, pp. 251-269, Archives départementales du Pas-de-Calais, PB 394/22.
  • A. JANVIER, François de Jussac d’Amblebille, sieur de Saint-Preuil, mareschal des camps et armées du roi Louis XIII, Abbeville, R. Housse, 1859, 140 p., Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 3626/14.
  • J. LOMBARD, "Éclairages littéraires sur le procès de Saint-Preuil exécuté à Amiens en 1641", Bulletin de la société des Antiquaires de Picardie, 1998, pp. 59-72, Archives départementales du Pas-de-Calais, PB 15/65.
  • D. LOUCHET, Saint-Preuil. François de Jussac d’Ambleville (1599-1641). Un héros de cape et d’épée au temps de Louis XIII, Aix-Noulette, autoédition, 2019.