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François Vidocq, le justicier !

Ce mois-ci, est mis à l’honneur un dossier de procédure du tribunal criminel du Pas-de-Calais, où l’on découvre une anecdote inédite concernant le célèbre aventurier arrageois François Vidocq.

"Je t’arrête au nom de la loy !"

Le 18 pluviôse an III (6 février 1795), vers 10 heures du matin, François Vidocq est à Arras. Un marchand forain de Lucheux, dénommé Charles Dollet, âgé de 31 ans, se rend chez lui pour lui présenter des mouchoirs de mousseline de Suisse ou de madras. Ce colporteur lui propose alors le prix de 15 livres le mouchoir s’il paye en assignats, ou seulement de 5 livres s’il paye en argent. Vidocq lui rétorque que l’assignat a la même valeur que l’argent, mais le vendeur ne veut rien entendre.

Portrait monochrome d'un homme portant une redingote et un foulard blanc.

Portrait de Vidocq, d'après Eugène Devéria, [1830-1850]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 476/43.

Les esprits s’échauffent et notre héros attrape le contrevenant par le collet en s’écriant Je t’arrête au nom de la loy ! . Charles Dollet veut alors se défendre avec un bâton qu’il tient à la main. Devant cette menace, Vidocq appelle à l’aide Pierre Delestré, un cordonnier logeant apparemment chez lui. Il lui dit : Tiens, voilà un fripon qui veut me vendre des mouchoirs à quinze francs en assignats ou cinq livres en argent . Maintenant ses propos, Charles Dollet est emmené de force au comité de surveillance révolutionnaire d’Arras. S’ensuit alors un procès pour discrédit d’assignats, où l’on retrouve l’interrogatoire des témoins de cette histoire, retranscrit ci-dessous.

Un document inédit ? 

Cette affaire, où apparaît le nom du célèbre François Vidocq, a été trouvée par hasard, lors d’une recherche dans le fonds du tribunal criminel et révolutionnaire du département du Pas-de-Calais. La sous-série 4 L, d’où provient ce fonds, a été créée afin d’accueillir les archives des sociétés populaires, des comités de surveillance, des prisons et des juridictions.

L’intérêt principal de cette pièce est de retracer une anecdote de la vie de François Vidocq qui n’apparaît ni dans ses mémoires, ni dans les nombreuses biographies qui lui sont consacrées. C’est également une énigme, car elle prouve que notre homme se trouvait dans sa ville natale à une époque où il ne devait plus y être. Il y a assez peu de repères chronologiques dans les Mémoires de Vidocq. Si l’on se fie à ses écrits, il devait être au moment des faits dans "l’armée roulante" en Belgique ou au Pays-Bas, peut-être en train de séduire la baronne d’I… de qui il aurait obtenu une caissette de quinze mille francs en or, avant de rejoindre Paris le 2 mars 1796.
Que faisait-il donc à Arras en février 1795 ? Était-il juste de passage ? Ou se trouvait-il encore à l’épicerie hérité de son malheureux mariage avec Marie-Anne-Louise Chevalier [ note 1] ?

Des assignats discrédités

L’assignat est, à l’origine, un titre d’emprunt émis par le Trésor public en 1789, dont la valeur est gagée par assignation sur les biens nationaux. Il devient une monnaie de circulation et d’échange dès 1791. L’assignat est, en effet, une monnaie fiduciaire (de fiducia, qui veut dire confiance en latin), c’est-à-dire que la valeur nominale est supérieure à la valeur intrinsèque ; ce qui explique certainement la défiance du colporteur. Cette monnaie connaît très vite une forte inflation à cause de la multiplication des émissions. L’État imprime, en fait, plus d’assignats que la valeur réelle des biens nationaux. Cette monnaie perd ainsi 60 % de sa valeur entre 1790 et 1793 ! De plus, elle est facilement falsifiable : un grand nombre de faux assignats ont été diffusés dans le pays, comme en témoigne par exemple le dossier coté 4 L 199, relatif à une affaire de fabrication et de distribution de faux assignats (1793-an III).

La non-acceptation de l’assignat est passible de la peine de mort, les biens sont confisqués et le délateur est récompensé : ce qu’espérait peut-être François Vidocq ! Ces peines sont fixées par la loi votée par la Convention nationale du 5 septembre 1793 relative aux personnes prévenues d’avoir fait le commerce d’assignats, d’en avoir refusé en payement ou d’avoir cherché à les décréditer .

Par la loi du 28 ventôse an IV (18 mars 1796), les assignats seront finalement remplacés par les mandats territoriaux qui seront eux-mêmes démonétisés quelques mois plus tard (16 pluviôse an V ; 4 février 1797).

Document manuscrit retranscrit ci-contre.

Tribunal criminel du département. - Charles Dollet, tentative de discrédit de la valeur des assignats : interrogatoire (22 pluviôse an III), archives départementales du Pas-de-Calais, 4 L 92.

Par ailleurs, dans les pièces du procès, une confusion apparaît parfois entre les francs et les livres. Cela s’explique par le fait que les assignats libellés en francs viennent juste d’apparaître (loi du 18 nivôse an II ; 7 janvier 1795). Le franc remplacera définitivement la livre tournois et deviendra l’unité monétaire française avec la loi du 28 thermidor an III (15 août 1795). 

Le fonctionnement de la justice révolutionnaire

L’affaire Charles Dollet, concernant une tentative de discrédit de la valeur des assignats, a aussi l’avantage de montrer le fonctionnement de la justice durant la Révolution française.

La procédure criminelle se déroule donc en trois étapes distinctes, mais interdépendantes.

La première phase est l’instruction préparatoire : le juge de paix, qui la conduit normalement après avoir été saisi par la victime ou par un tiers, dresse un procès-verbal des faits commis et reçoit les témoignages. Ici, c’est le comité de surveillance révolutionnaire qui établit, une heure après les faits, un procès-verbal inculpant Charles Dollet pour avoir mis entre l’argent et les assignats une différence tendant à les discréditer (le 18 ventôse).

Lithographie couleur montrant un homme de profil à une tribune, le bras levé. À l'arrière plan, une feuille de papier disproportionnée sur laquelle on lit : "Domaines nationaux. Assignat de dix sous payable au porteur", entourée d'un drapeau français, d'une table où est inscrit "la loi", d'un glaive, d'un bouclier représentant un bonnet phrygien garni de feuilles de laurier.

Maximilien de Robespierre à la tribune, devant un assignat. Image publicitaire [18..]. Archives départementales du Pas-de-Calais 4 J 472/185.

La deuxième phase intervient à la suite de la transmission du dossier au juge du tribunal du district, Louis-Joseph Legay (1759-1823), qui représente le directeur du jury et qui dresse un mandat d’amener et un mandat d’arrêt (le 19 ventôse). Il a la responsabilité d’instruire le dossier devant "un jury d’accusation" composé de huit membres, dont le rôle est d’examiner les charges énoncées dans l’acte d’accusation, afin de décider de leur maintien ou non. Dans le présent procès, le jury décide du maintien de l’accusation. Une ordonnance de prise de corps est alors rendue contre Dollet, le 20 ventôse. Cette décision entraîne une remise de l’accusé devant "un jury de jugement" au tribunal criminel, donc au niveau départemental.

La troisième et dernière phase correspond au déroulement naturel du procès qui débute avec la lecture de l’acte d’accusation par le greffier, suivi de l’interrogatoire de l’accusé par le président, puis de l’audition des témoins et de la défense (le 22 ventôse). Le jury de jugement déclare que Charles Dollet a effectivement discrédité les assignats mais non méchamment, ni à dessein. Ainsi, le 15 germinal (4 avril 1795), après avoir entendu l’accusateur public, l’accusé et son défenseur, le président du tribunal criminel du département Joseph-François-Nicolas Hacot acquitte Charles Dollet et ordonne que les mouchoirs lui soient rendus.

Note

[ note 1] Le 8 août 1794, en la paroisse Saint-Géry, à Arras.

Pour aller plus loin 

  • F. VIDOCQ, Les mémoires de Vidocq. Tome premier, Éditions François Beauval, 1968. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7728
  • G. ALEXANDRE, La répression des crimes contre les assignats au tribunal criminel du Pas-de-Calais, mémoire de D.E.A. en Théorie du droit et sciences judiciaires sous la direction de Renée Martinage, Université de Lille II, année 1992-1993, 91-16 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, Ms 569.