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Transcription du rapport de mer relatif au naufrage du Tadorne

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2 avril 1913
Rapport de mer – patron chalutier à vapeur "Tadorne"

L’an mil neuf cent treize, le deux avril, onze heures du matin, au greffe du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, par devant nous Manfait, juge audit tribunal faisant fonction de président par empêchement du titulaire, assisté de M. Buret commis greffier, a comparu le sieur Victor Parisis, patron de pêche breveté, commandant en second à bord du chalutier à vapeur Tadorne B 263 de Boulogne-sur-Mer, lequel a fait la déclaration suivante :

Nous sommes partis de Boulogne le 27 mars écoulé à 3 heures et demie du soir pour la pêche à la morue à Islande, le capitaine Fortin commandant à bord.

Le Tadorne quitta la rade seulement à 6 heures du soir après complète vérification des compas. À partir du Cap Gris-Nez, le capitaine fit mettre le cap nord-est quart nord, beau temps, vent faible de la partie nord-nord-ouest.

Le 28 vers 8 heures et demie du matin, prenant les jumelles pour inspecter l’horizon, j’aperçus sur tribord une tonne que je reconnus aussitôt être la tonne nord de Winterton [ note 1]. Ce n’était pas notre route ! Nous étions dans le voisinage de bancs dangereux. Sur mon observation immédiate et la trouvant fondée, le capitaine Fortin qui était de quart attribua cette mauvaise direction à la brume. Devant ces faits, je donnais moi-même le cap au nord-nord-ouest demi nord ; nous atteignîmes Flamborell [ note 2] à cette même cap, il était environ 8 heures du soir ; à ce moment je pris la carte et fis constater au capitaine Fortin que la ligne sur la carte entre Flamborell, point où nous étions, et Buckaness [ note 3] indiquait nord et sud ; le capitaine donna le cap nord quart nord-ouest, temps clair, les feux s’apercevant très distinctement.

Le vapeur marchait depuis Boulogne à toute vitesse ; vers dix heures du soir, j’étais dans la passerelle avec l’officier de quart et le capitaine. Je fis remarquer au capitaine combien nous étions à terre. Il me répondit que des navires étaient plus à terre que nous et qu’il voulait prendre connaissance du feu de Kokey [ note 4] avant de prendre le large, je répliquai que cette route était fort dangereuse.

Avant d’aller me reposer, je recommandai au deuxième officier de m’appeler son quart terminé. Celui-ci en passant le quart au capitaine Fortin lui déclara que son opinion était que l’on naviguait trop à terre et, sur l’ordre express du capitaine, ne m’appela pas.

Deux heures après, le temps était devenu légèrement brumeux, le vapeur avait conservé sa même vitesse, le capitaine se trouvait dans la chambre de veille où se trouve ma couchette, il était 4 heures du matin le 29 mars.

Tout à coup, les hommes de barre crièrent : la mer brise devant. À ce moment je sautais de ma couchette, me précipitai sur le télégraphe pour faire machine arrière toute, pendant que l’on mettait la barre tribord toute, il était trop tard. "Tadorne" franchit la côte à 4 heures et demie basse mer. Le navire était crevé dans son milieu et quoiqu’il fit beau temps, vent de la partie est-sud-est, la mer montant balaya le pont presqu’aussitôt ; l’équipage s’était muni de ses ceintures de sauvetage, certains se réfugièrent sur l’avant, dans la mâture, nous étions une quinzaine sur la dunette, y compris les mécaniciens et chauffeurs. Nous étions très près de la côte, à environ une encablure, et le temps que nos signaux de détresse fonctionnèrent permit que des secours nous furent portés rapidement. De la côte les sauveteurs essayèrent d’installer un va-et-vient. Trois lignes furent lancées, une toucha le but, mais la ligne s’étant accrochée dans les roches, le va-et-vient fut impossible.

Ce fut alors que le canot de sauvetage vint sur nous et put heureusement nous accoster, il sauva d’abord les hommes se trouvant sur la passerelle et au deuxième voyage rapporta cinq hommes dont deux étaient morts de froid, deux hommes avaient également essayé de gagner la terre à la nage.

Réconfortés par les soins dévoués des habitants du pays où nous sommes naufragés, nous fûmes rapatriés sur Newcastle et de là, nous pûmes gagner Boulogne où nous arrivâmes le premier avril à 14 heures et demie du soir.

J’attribue la cause de ce naufrage à l’imprudence commise par le capitaine Fortin qui n’a tenu aucun compte de mes conseils, de mes observations et de celles du deuxième officier, et de certains hommes de l’équipage.

Je déclare le présent rapport conforme à la vérité, me réservant de plus amples détails si besoin est.

[Signé :] Maufait Parisis Buret

Affirmation : ont à l’instant comparu les sieurs Auguste Pourre et Lebellec (Louis), tous deux matelots à bord dudit navire.

Nous, président susnommé, avons de suite et en exécution de l’article 247 du Code de commerce, procédé à l’interrogatoire de ces derniers comparants sur les faits au rapport qui précède et dont lecture leur a été faite, à quoi ces derniers ont répondu en rappelant exactement et avec détails les faits ci-dessus, jurant et affirmant qu’ils sont exacts, sincères et véritables, et n’avoir rien à y changer, augmenter ou diminuer.

[Signé :] A. Pourre Louis Lebellec

Buret Maufait

Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, registre aux rapports de mer des capitaines de navires, 30 novembre 1912 – 27 novembre 1913. Archives départementales du Pas-de-Calais, 6 U 2/742.

Notes

[ note 1] Phare de Winterton-on-Sea, Norfolk.

[ note 2] Flamborough Head, phare dans l’East Yorkshire.

[ note 3] Phare de Buchan Ness, village de Boddam, Aberdeenshire.

[ note 4] Phare de Coquet Island, Northumberland.

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